Histoire de France au temps de l’esclavage – Palais de l’Elysée, palais du négrier

par Louis-Georges Tin, ancien président du Conseil représentatif des associations noires (CRAN), publié le 13 juillet 2020

Tribune. Monsieur le Président,

Le 14 juin dernier, vous avez déclaré : «Le passé est là. Il ne faut surtout pas le réécrire ou le tuer, comme on est en train de le faire avec les statues […]. Il est là, donc on doit accepter l’histoire.» Tout récemment, sortant de sa réserve habituelle, votre épouse a exprimé une opinion très semblable à la vôtre : «Le passé est là. Il ne faut surtout pas le réécrire ou le tuer comme on est en train de le faire avec les statues, a-t-elle déclaré […]. Ça dit quelque chose de nous, même si c’est quelque chose qui ne nous plaît pas. Il est là, donc on doit accepter l’histoire.»

Vous avez raison l’un et l’autre, «on doit accepter l’histoire». Et nous pensons que cette maxime doit être illustrée : il faut donner l’exemple au plus haut niveau de l’Etat. Au niveau même de la présidence. Vous qui êtes locataire de l’Elysée, avec votre épouse, nous souhaitons que les traces de l’histoire de votre résidence soient connues de tous, et d’abord de vous-même.

Inauguré en 1720, il y a trois cents ans exactement, le palais de l’Elysée a été bâti et financé par Antoine Crozat, pour y loger sa fille et son gendre Louis-Henri de la Tour d’Auvergne. Selon Saint-Simon, Antoine Crozat était à l’époque «l’homme le plus riche de Paris», par conséquent du royaume. En 1701, il avait obtenu la fourniture en esclaves des colonies espagnoles, ce qui représentait bien entendu un marché colossal. Il devint bientôt le premier propriétaire de la Louisiane, et créa la Compagnie de la Louisiane, qui était à l’époque une colonie française. Il dirigea également la Compagnie de Guinée. En d’autres termes, Antoine Crozat fut certainement le plus grand négrier de l’histoire de France.

Et c’est dans ce palais négrier qu’est aujourd’hui logé le président de la République française. Un peu comme Donald Trump vit aujourd’hui dans la Maison Blanche, qui a été bâtie en bonne partie par des esclaves noirs. Ce n’est pas un hasard : les grands hôtels de la République, comme le vôtre, les grandes banques, comme la Banque de France, les grandes institutions comme la Caisse des dépôts, sont souvent liés aux capitaux issus de l’esclavage. Mais personne ne le sait, car les «traces» ont été effacées, comme vous l’avez à juste titre noté. Or, «le passé est là. On doit accepter l’histoire».

Evidemment, M. le Président, votre épouse et vous-même n’êtes en rien responsables de cet état de fait. Ce n’est pas vous qui avez causé ces malheurs, mais vous en êtes les bénéficiaires directs. Vous êtes logés dans une résidence somptueuse dont les ors sont l’envers de l’enfer subi par nos ancêtres. Derrière les murs de l’Elysée, errent encore les fantômes des esclaves. Le silence de votre palais résonne des cris et des souffrances des Africains déportés. Vous êtes l’héritier de cette histoire. C’est du sang des Africains réduits en esclavage qu’est sortie la splendeur du toit qui vous abrite.

Sauf à vouloir déménager, cet héritage négrier et criminel, vous devez l’assumer. Que vous le vouliez ou non, ce palais négrier est aujourd’hui votre palais. Il vous appartient, M. le Président, de faire en sorte que les traces de ce passé ne soient pas effacées, car «on doit accepter l’histoire», comme votre épouse et vous-même l’avez à juste titre affirmé. C’est pourquoi, ne pouvant ni déserter les lieux, ce qui serait absurde, ni ignorer le passé, ce qui est (désormais) impossible, vous devez faire en sorte que les «traces» de l’histoire soient clairement connues de tous.

C’est tout le sens de votre engagement. Vous qui avez, pendant la campagne pour la présidentielle, affirmé que la colonisation fut un crime contre l’humanité, vous qui avez fait droit à la demande du Cran en acceptant de restituer les trésors coloniaux, nous vous invitons à créer dans la cour de l’Elysée un mémorial en hommage aux esclaves, qui fasse la transparence sur l’origine des fonds qui ont permis de bâtir l’Elysée. Car ces capitaux, qui étaient des biens mal acquis, sont une trace invisible de ce passé, qui doit être assumée et expliquée.

Nous sommes en 2020. Pour les 300 ans du palais de l’Elysée, et à l’occasion du 14 juillet, nous vous invitons à annoncer lors de votre allocution la mise en œuvre d’une enquête historique approfondie, qui permettrait de connaître tous les liens reliant l’esclavage colonial aux grandes institutions de la République, au-delà du cas particulier de l’Elysée, qui n’est que le haut de l’iceberg. Tous ceux qui ont bénéficié de l’esclavage, et des réparations accordées en 1848 aux négriers, tout cela doit être connu, comme cela a été fait par l’University College of London, qui a mené à cet égard une enquête remarquable. Et vous pourriez annoncer ce 14 juillet la mise en œuvre d’une réflexion sur le mémorial que nous appelons de nos vœux. Ainsi, les visiteurs qui entrent à l’Elysée ne pourront plus ignorer les traces de l’histoire, ce qui est en effet votre souhait et le nôtre.

Liberation


Pourquoi dit-on que le palais de l’Élysée est un héritage de l’esclavage ?

Dans une tribune publiée sur le site de Libération, Louis-Georges Tin, ancien président du Cran, le Conseil représentatif des associations noires de France, rappelle à Emmanuel Macron une trace du passé qu’il ne faut selon lui “pas oublier”. Celle de l’origine du palais présidentiel, construit par le plus grand négrier de France, Antoine Crozat. Il propose d’y ériger un mémorial pour les esclaves en plein mouvement Black Lives Matter. Un sujet de Boris Courret.


L’HISTOIRE DE FRANCE AU TEMPS DE L’ESCLAVAGE

L’ÉLYSÉE, LE PLUS GRAND SYMBOLE À PARIS DU PASSÉ ESCLAVAGISTE DE LA FRANCE

Trois siècles après sa construction financée par un négrier, l’Élysée est un des derniers grands témoignages à Paris de l’histoire du commerce colonial. Les autres bâtiments prestigieux occupés par des esclavagistes ont disparu ou sont tombés dans l’oubli

Par France Culture Benoît Grossin  I Publication 02/08/2020

Trois siècles après sa construction financée par un négrier, l’Élysée est un des derniers grands témoignages à Paris de l’histoire du commerce colonial. Les autres bâtiments prestigieux occupés par des esclavagistes ont disparu ou sont tombés dans l’oubli. Un travail de mémoire reste à accomplir.

Sans un négrier, Antoine Crozat, le palais de l’Élysée n’aurait pas été édifié en 1720, avant d’être occupé par la marquise de Pompadour, Napoléon et depuis plus d’un siècle maintenant par les présidents de la République. 

L’homme le plus riche de France au début du XVIIIe siècle, selon Saint-Simon, en a financé la construction pour le compte de son gendre, Louis-Henri de la Tour d’Auvergne, dans le cadre d’une stratégie, en vue d’intégrer la haute société aristocratique. 

Antoine Crozat à la direction de la Compagnie de Guinée, l’une des plus importantes sociétés de commerce triangulaire, a bâti sa fortune en obtenant en 1701 le monopole de la fourniture en esclaves de toutes les colonies espagnoles. 

Mais il n’est pas le seul grand acteur à l’époque. 

A Paris, le Club de l’hôtel de Massiac, société de colons de Saint-Domingue et des Petites Antilles défend ses intérêts dans un bâtiment qui a disparu comme beaucoup d’autres, depuis les travaux haussmanniens, depuis les transformations de la capitale en profondeur, à partir de 1853 sous le Second Empire. Bâtiment sur la place des Victoires remplacé par l’hôtel de L’Hospital. Alors que les stigmates de l’esclavage sont encore nombreux aujourd’hui dans l’urbanisme des anciens ports négriers, Bordeaux et Nantes, notamment

Reste le Palais de l’Élysée, mais aussi et dans une certaine mesure la Banque de France et la Caisse des dépôts.

L’ancien président du Conseil représentatif des associations noires (Cran), Louis-Georges Tin, a demandé au chef de l’Etat Emmanuel Macron, le 13 juillet dernier dans Libération, le lancement d’une enquête pour mettre en lumière tous les liens entre l’esclavage colonial et les grandes institutions de la République. 

La Fondation pour la mémoire de l’esclavage, mise en place le 12 novembre 2019, doit travailler avec la ville de Paris à la création d’un monument et d’un lieu muséal dédiés. 

L’historien Marcel Dorigny, membre du comité scientifique de cette fondation, plaide pour un mémorial et milite pour des explications aux quatre coins de la capitale où le passé colonial et esclavagiste est omniprésent. 

Le palais de l’Élysée s’est construit sur le dos d’esclaves

Le Toulousain Antoine Crozat, l’homme le plus riche de France au début du XVIIIe siècle, selon le courtisan et mémorialiste Saint-Simon, est un parvenu aux yeux de ses contemporains, un financier et négociant cupide, engagé dans toutes les affaires pouvant rapporter gros, à commencer par la traite négrière. 

C’est sur décision du roi Louis XIV que cet homme né roturier prend la direction de l’une des plus importantes sociétés du commerce triangulaire créée en 1684, la Compagnie de Guinée, avec pour mission d’acheminer du port de Nantes, le plus grand nombre possible d’esclaves noirs vers Saint-Domingue et de remplacer sur l’île, le tabac par le sucre. 

Le monopole qu’il obtient à partir de 1701 sur la fourniture d’esclaves aux colonies espagnoles, permet à Antoine Crozat d’amasser une fortune colossale. 

L’auteur d’une biographie intitulée Le Français qui possédait l’Amérique. La vie extraordinaire d’Antoine CrozatPierre Ménard, évalue sa fortune en 1715, à la mort de Louis XIV, à 20 millions de livres, soit près de 300 milliards d’euros !  

De quoi acheter des châteaux par dizaines, de posséder un hôtel particulier dans sa ville de Toulouse et d’en acquérir un autre, prestigieux, sur l’actuelle place Vendôme, à l’endroit où se trouve maintenant le Ritz. 

Quoique richissime, Antoine Crozat est maintenu à l’écart du système d’honneurs, moqué pour son inculture et sa vulgarité par la noblesse qui ne le fréquente que pour lui emprunter de l’argent. 

Et c’est grâce à sa fortune bâtie sur la traite négrière qu’il s’ouvre les portes de l’aristocratie, en mariant sa fille – alors qu’elle n’a que 12 ans – à Louis-Henri de la Tour d’Auvergne, le comte d’Evreux. 

Ce membre de la haute noblesse française, gouverneur de l’Île-de-France, profite de son beau-père en bénéficiant d’une dot de 2 000 000 de livres pour se faire construire un hôtel particulier, l’hôtel d’Évreux, qui prendra le nom d’hôtel de l’Élysée à la toute fin de l’Ancien Régime.

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